20 millions de scooters... et moi et moi et moi

Thierry Traccan, rédacteur en chef de Moto Revue, ne se résout pas à l'idée de voir les scooters supplanter numériquement les motos dans un proche avenir en Europe. Et il le fait savoir.
Les scooters seront bientôt majoritaires en Europe.Purée, 20 millions… Les scooters circulant en Europe devraient avoisiner les 20 millions d’unités à l’orée 2016, contre 15 millions de motos. Telles sont les prévisions de l’ACEM (Association des constructeurs européens de motocycles). Demain devrait donc voir une horde de valises à roulettes prendre le pouvoir. Tu parles d’un choc ! Tous ces scooters, ces purs produits raison, les voilà les futurs leaders ? Ceux qui imprimeront la tendance ? Ceux pour qui les politiques pondront leurs lois ? Ceux à qui les infrastructures tenteront de s’adapter ? Perso, cette vision ne me réjouit pas. Simplement parce qu’à mes yeux, le deux-roues est avant tout synonyme de passion, de fun, d’exigence peut-être, mais d’une certaine philosophie de la vie. Or un scooter ne nous parlera jamais d’autre chose que de mobilité et de commodité. Si je peux comprendre le titulaire d’un permis B qui se met au 125 cm3 pour optimiser ses déplacements, je m’explique difficilement qu’un motard pur jus puisse se laisse tenter par le côté obscur de la force, celui des gros scooters. J’en vois déjà me dire : « Un gros scooter, c’est un engin génial, super efficace », et d’ajouter, sourire en coin, « et tu verrais tous les guignols avec leurs grosses motos que je tords ».
Des utilisateurs de gros scooters, le ciel me pardonne, j’en connais pas mal, trop sûrement, et tous tiennent un discours analogue. Un discours où l’on sent poindre la honte d’avoir abandonné la moto, puis le besoin de se justifier : « Tu sais, je prends 170 km/h avec, et puis, il tient la route comme une moto, c’est ultra-efficace. » Ouaaah, trop chouette ton « scroute » ! Mais non merci. Parce qu’ils devraient l’avouer : ce choix, ils ne le font que pour le confort. Le confort au sens large, à l’image de ce que revendique notre société. De la préservation de leur vieux squelette au soulagement espéré pour leur séant, de leur embourgeoisement envahissant (au moins moralement), et de cette quête du douillet qui les pousse à adopter tablier, manchons, selle chauffante ou large pare-brise, comme à préserver leur soulier gauche des agressions perpétrées par l’affreux sélecteur d’avant.
Sans compter que dans une société codifiée, rouler en gros scoot’ t’inscrit dans la caste des cadres dynamiques, modernes et pressés. Se transporter en scooter, c’est s’offrir une mobilité à la carte mais sans atouts de coeur. Car si la moto se montre parfois pénible et souvent exigeante, au final, elle reste surtout autrement plus vivante. Elle est un choix aussi passionné que passionnant. Pas un simple moyen de transport, ou alors réservé aux âmes en quête de sensations. Alors si certains nous prennent pour des guignols, moi je crois bien deviner où dénicher la jolie bande de gnafrons. D’ici peu, ils devraient être 20 millions posés sur leurs coffres en plastique.